domingo, 18 de diciembre de 2011

Aurélie Dupont et Evan McKie brûlent les planches de Garnier


Remplaçant au pied levé Nicolas Leriche blessé, Evan McKie, étoile du ballet de Stuttgart incarne un Eugène Onéguine d'une grande richesse, au côté d'Aurélie Dupont, qui nous offre une Tatiana époustouflante… grâce à la chorégraphie de John Cranko, conçue d'une main de maître.


Aurélie Dupont / Evan McKie - Photo : M. Lidvac

Sud-africain, John Cranko s'est fait remarquer en Grande-Bretagne. Elève du Sadler's Wells Theatre de Londres (aujourd'hui Royal Ballet), il en devient le chorégraphe résident grâce à la bienveillante vigilance de dame Ninette de Valois. Puis sa popularité dépasse l'insulaire Angleterre : le New York City ballet lui passe commande en 1950 (The Witch), l'Opéra de Paris en 1955 (La Belle Hélène) et la Scala de Milan en 1958 (Roméo et Juliette). En 1960, il est invité à monter son Prince des pagodes pour le ballet de Stuttgart. Tout s'y passe si bien qu'il est sollicité pour prendre la tête de ce qui a été une grande compagnie. En quelques années, sachant s'entourer d'une équipe dynamique, il fait du ballet de Stuttgart une troupe au rayonnement international, créant pour elle trois à cinq oeuvres par an. 

Aurélie Dupont / Karl Paquette - Photo : M. Lidvac
Avec une grande finesse, sans forcer les effets, mais sans reculer devant le pathos nécessaire, John Cranko a adapté scrupuleusement le poème d'Alexandre Pouchkine. Au premier acte, toute la maison de Larina se prépare pour l'anniversaire de Tatiana. Lenski, le fiancé d'Olga, soeur de Tatiana, revient de la chasse avec Onéguine, un ami venu de la ville. Tatiana en tombe amoureuse. Elle lui écrit une lettre, mais il ne la prend pas du tout au sérieux. Pendant la fête du deuxième acte, Onéguine, pour se distraire, fait la cour à Olga. Lenski s'en offusque, provoque Onéguine. Lors d'un duel, il tue son ami. Le troisième acte a lieu une dizaine d'années plus tard. Onéguine se rend chez le prince de Grémine et découvre que la princesse n'est autre que... Tatiana. Troublé, il écrit à la jeune femme pour lui avouer ses sentiments. Mais bien que toujours amoureuse d'Onéguine, la princesse tait sa passion et le repousse. 
En centrant son propos sur les personnages principaux du poème, Cranko met l'accent sur le tragique d'un amour inachevé, porteur de sa propre destruction. Un choix d'air d'opéras et pièces pour piano de Tchaikovski, orchestrés par Kurt-Heinz Stolze, ainsi que les décors et costumes de Jürgen Rose, offrent un écrin évocateur à cette passion tourmentée. 

Bien qu'académique, l'écriture chorégraphique dégage une profonde émotion. Il faut dire que le couple "surprise" de cette distribution éblouit. Sans théâtralisation excessive ni lourde pantomime, Aurélie Dupont et Evan McKie ont su rendre, précisément et avec intensité les caractères, les hésitations des sentiments, la nostalgie du temps qui est passé. 

L'étoile de l'Opéra est époustouflante de par sa technique, son sens théâtral et son engagement psychologique dans le rôle de Tatiana. Elle sait être la jeune fille romantique nourrie de littérature sentimentale au premier acte, qui s'imagine dans les bras de cet homme, ténébreux et indifférent, auquel elle va, en vain, avouer son amour dans une lettre passionnée. Au troisième acte, princesse Grémine, Aurélie Dupont incarne une femme et épouse de la haute société russe, consciente de son rang mais désormais interdite. Outre cette évolution traduite dans chaque geste, dans chaque pas, ce qui frappe surtout, c'est le travail du regard qui est livré par la ballerine tout au long de la chorégraphie.

Enfin, l'ultime pas de deux, construit en écho et contrepoint à celui qui clôt l'acte 1, tout en étant incroyablement technique et physique, est d'une sensualité vibrante. Eugène Onéguine/Evan McKie et la princesse Grémine/Aurélie Dupont s'abandonnent aux émotions de leur personnage sans retenue… ce porté où Aurélie Dupont glisse sur le torse de son partenaire est d'une beauté incommensurable. Dans les bras de l'étoile du ballet de Stuttgart, Aurélie Dupont réussit à se surpasser et faire oublier cette froideur qui, habituellement, caractérise ses personnages. 

Evan McKie - Photo : M. Lidvac

Son partenaire, danseur noble et élégant, à la musicalité exemplaire et fin connaisseur du personnage, sait parfaitement incarner ce dandy désargenté et las des mondanités pétersbourgeoises. Tout au long de l'oeuvre, il s'impose comme le personnage clé de ce chassé-croisé tragique entre les quatre jeunes gens. Bref, le partenariat entre Aurélie Dupont et Evan McKie fonctionne à merveille. 

Le couple Olga - Lenski (Myriam Ould Braham et Josua Hoffalt) répondent, au deuxième acte, de manière très juste au couple principal. Mais leur premier acte est moins convaincant, dans le jeu et la danse. 

Agréable surprise que cet Onéguine qui permet de découvrir les talents du danseur étoile de Stuttgart et d'apprécier une Aurélie Dupont, éblouissante dans les bras d'Evan McKie.


Opéra national de Paris - Palais Garnier - Représentation du 11 décembre 2011 
(20ème représentation)

Ballet en trois actes 
Livret de John Cranko d'après le roman "Eugène Onéguine" d'A. Pouchkine
Chorégraphie : John Cranko
Musique : Tchaïkovski, arrangée par Kurt-Heinz Stolze
Décors et costumes : Jürgen Rose
Eclairages : Steen Bjarke

Distribution :
Eugène ONEGUINE : Evan McKie (artiste invité)
Tatiana : Aurélie Dupont
Lenski, ami d'Onéguine : Josua Hoffalt
Olga, soeur de Tatiana : Myriam Ould Braham
et le Corps de ballet de l’Opéra national de Paris.

Orchestre Colonne - Direction : James Tuggle.

domingo, 11 de diciembre de 2011

Impressing the Czar par le Ballet Royal de Flandres

Première « rencontre » entre le directeur de la Forsythe Company et le Ballet Royal de Flandre, Impressing the Czar, ballet en trois actes et cinq tableaux, originellement créé en 1988 par le Ballet de Francfort, connaît une seconde vie grâce à Kathryn Bennetts, autrefois complice du chorégraphe, qui le remonta en 2005 à Anvers. 

Photo : Sébastien Geiger

Impressing the Czar : une histoire comme une bande dessinée grand écran. 


Une scène noire, ouverte comme un cinémascope, où l'or brille partout. Des tentures de couleur bronze deviennent d'étranges costumes baroques, rococo, d'esprit Renaissance sur des femmes grimaçantes, colériques. Des danseurs ont le corps moulé dans des académiques vieux ors mats. A droite, la salle du trône, représentée par un large praticable de bois précieux. Sa pente, légèrement inclinée, décorée comme un échiquier imaginaire, sert de plancher de danse à un groupe de figures d'une autre époque, dans une ambiance décadente, cruellement caricaturée, comme si l'Alice de Lewis Caroll avait pu être transportée avec la Dame de coeur, au travers du miroir, par une machine à explorer le temps.
Mais à la place d'Alice nous découvrons deux jeunes filles de la télévision et M. Pnut (Mikel Jauregui), pauvre niais qui possède tous les canaux télévisés. C'est ce que déclare de façon insistante Agnès (Helen Pickett), jeune fille en tenue d'écolière, à Rodger (Craig Davidson), l'homme robot des médias.

Photo : Sébastien Geiger
Dans la première partie d'Impressing the Czar, sous-titrée la Signature de Potemkine, l'histoire de l'art et de la danse prennent vie pendant une heure et se trouvent convoquées dans un pot pourri de trouvailles. Un homme indique à l'aide d'un trident, des fragments de peintures célèbres et des constructions architecturales, sur un mur d'exposition. Un des frères Grimm (Sébastien Tassin et David Jonathan), tente, par des contorsions très comiques, de prendre, allongé ou debout, la position d'une Vénus de Milo dorée. D'ailleurs, tous les accessoires (boules dorées, grappes de raisins, petits chapeaux comiques de clowns…) réapparaissent d'une manière ou d'une autre au cours des différents actes. 
Cette imposante première partie étourdit. Forsythe réussit avec brio la transition entre le premier et le second acte : les neuf danseurs et danseuses, vêtus d'un collant une pièce vert métallisé, vont se regrouper à la fin de la première partie avec les figures chargées de la représentation historique. A cet instant, une paire de cerises s'élève dans les airs qui, ainsi suspendue, formera l'unique décor du second acte. 

Photo : Sébastien Geiger
In the middle, somewhat elevated, est une confrontation "de maître" entre Aki Saito et Courtney Richardson. Kahtryn Bennetts, directrice artistique de la compagnie belge, obtient d'eux une autre qualité dansée que celle observée chez ceux de l'opéra de Paris. Si ces derniers séduisent par une virtuosité classique agrémentée d'une pointe d'érotisme, les danseurs du ballet royal de Flandres, grâce à la mobilité de leurs corps, font de chaque mouvement comme une attaque, une sorte d'accent tonique à la fluidité du matériau classique. La pièce commence par un choc. La musique de Thom Willems déchire l'espace et installe sa pulsation. Elle ne cessera plus. Les interprètes arrivent, se campent, testent une difficulté, ressortent. Sans un regard pour le public. Une noria ininterrompue de virtuosité sèche et coupante. Un duo, un trio, on ressort. Les bras et les jambes s'étirent, se cassent, se décalent, les pas s'enchaînent à une vitesse éprouvante. Ce marathon d'une demi-heure de danse exquise a, dans Impressing the Csar, la fonction de l'acte blanc dans le ballet classique mais ici, il est démystifié, sans clair de lune ni tutus. Concentration de danse pure qui laisse les nerfs à vifs et le sentiment angoissant d'un monde sans pitié. Très belle ovation rendue par le public de Chaillot, bluffé par tant de virtuosité.

Suit une digression sous forme de comédie : La maison de Mezzo-Prezzo, une curieuse vente aux enchères, menée avec brio par Helen Pickett. Un groupe d'hommes en costumes dorés, porteurs d'accessoires supposés chargés de symboles, fait monter les enchères. Helen Pickett pose, indéfiniment, la question clé de toute la soirée : que peut bien signifier tout cela ? une métaphore ? un rituel ? Ou tout simplement l'agonie de M. Pnut, ce tendre imbécile qui sera finalement victime d'un sombre rituel et finira, inanimé, au sol, alors que les commissaires priseurs plantaient des flèches dorées sur la table à la façon des sorcières plantant des aiguilles dans une poupée ?


Photo : Sébastien Geiger

M. Pnut est au centre d'une danse totémique menée par une horde de collégiennes formée d'une trentaine de danseurs, hommes et femmes, tous vêtus de chemisettes, chaussettes blanches, et jupettes plissées bleu marine, coiffés de perruques coupées au carré au niveau du menton. Ils marchent frénétiquement, les jambes folles, sur les rythmes suggestifs de Tom Willems, la tête rentrée dans des épaules très mobiles. Bongo Bongo Nageela rend une puissance agressive et donne des frissons. Ces écoliers sur scène apparaissent au fur et à mesure de plus en plus monstrueux. La violence des images de Bongo se dissout dans une scène de rêve, lorsque M. Pnut ressuscite dans une faible lumière : M. Pnut goes to the big shop. Il souffle sur le visage d'une des filles, sans un bruit, à l'aide d'une sarbacane de papier jaune. Il reste ainsi comme un pauvre personnage un peu stupide.  

Le public de Chaillot trépigne tant il est enthousiasmé par les plaisanteries subtiles et cruelles de la chorégraphie, par ces images composées de façon surréalistes. Par le vocabulaire de la danse qui va, dans cette pièce, du frétillement délibérément exagéré au néo-classicisme épuré, en passant par la parodie d'un rituel de danse tribale. 
Mais incontestablement, le succès de la soirée revient aux danseurs du Ballet royal de Flandre, époustouflants.


IMPRESSING THE CZAR
Pièce pour 34 danseurs - Représentation du 9 décembre 2012 - Festival d'automne à Paris / théâtre national de Chaillot

Chorégraphie : William Forsythe
Musique : Thom Willems, Leslie Stuck, Eva Crossman-Hecht, Ludwig van Beethoven
Décor : Michael Simon
Costumes : Férial Münnich
Son : Bernhard Klein

Avec les danseurs du Ballet Royal de Flandre et Helen Pickett (artiste invitée)

sábado, 8 de octubre de 2011

Quatre pièces de Trisha Brown

Trisha Brown est un phénomène. Du berceau de l'avant-garde à la Judson Church de New York jusqu'à aujourd'hui, c'est, parmi les postmodernes américains, l'une des créatrices de danse les plus originales. Elle a fécondé l'art avec intelligence, joie du risque, humour, et avec le talent de dominer la pesanteur en s'envolant presque. Son "travelling" durant près de cinquante ans d'histoire de la danse, l'attire toujours sur le terrain de la découverte. Par de remarquables solos et de superbes ensembles, elle continue d'apporter à la danse abstraite de nouvelles sources de mouvement, à dilater les frontières corporelles et spatiales, à ouvrir des dimensions spirituelles, à sensibiliser la perception. Et ceci, non seulement dans le mouvement, l'espace, le temps, mais aussi entre les êtres qui, dans sa compagnie, l'inspirent. 


Née en 1936 à Aberdeen, dans l'état de Washington, Trisha Brown a rejoint le foyer artistique new-yorkais après avoir suivi un atelier d'improvisation de plusieurs semaines auprès d'Ann Halprin, en Californie. Dégaine de garçonne délurée, mâtinée de puritanisme anglo-saxon, Trisha Brown qui fut dans sa jeunesse passionnée d'athlétisme, de basket ou même de football, a conservé toujours en elle cette décontraction franche, très campus américain, que l'on retrouve au plus intime de sa danse. A la Judson Church l'idée même de spectacle faisait figure d'hérésie et parce qu'on ne pouvait alors raisonner qu'en termes de performances, à peine échappée des studios, celle qui a étudié la danse chez Graham, Limon et Cunningham, investira les lieux les plus insolites, c'est à dire les plus improbables. Elle fera marcher ses danseurs sur des murs, à l'horizontale, galoper sur les toits de New York ou léviter sur des pièces d'eau. Dépouillement, recherche de l'inexploré, ou mieux, de l'inaccessible, répétitivité, accumulation du geste comme du verbe, réflexion sur la nature profonde du mouvement, sont alors les maîtres mots de la démarche de Trisha Brown. Ses chorégraphies ont la force jubilatoire d'un précis de liberté. Son oeuvre ne saurait se résumer à une technique ou un vocabulaire. D'une folle musicalité, sa danse est un flot insaisissable de courses suspendues, de chutes inattendues, d'élans joueurs, de prises de risques esquivées. Le mouvement y est en en activité constante, dans une extrême et mobile fluidité de toutes les parties du corps. Une onde de vie traverse en tous sens la danse de Trisha Brown. 

Quatre pièces, dont une première européenne et une création mondiale, pour nous le rappeler. Avec Watermotor, interprété par Neal Beasley, la chorégraphe américaine prend conscience "du pouvoir visuel de la danse". Sans renoncer à la liberté qui fonde son mouvement, elle a su ne pas s'enfermer dans l'austérité d'un avant-gardisme trop radical, en veillant à rendre sa danse plus lisible. Physique, mais tout en "release", le phrasé chorégraphique glisse, imprévisible mais dense et articulé autour de gestes quotidiens. Superbe. 

Neal Beasley

Après le succès de son interprétation de "Pygmalion" (2010), opéra en un acte de Rameau, Trisha Brown a adapté les sections dansées de cette oeuvre complète pour les présenter en tournée aux Etats-Unis et à l'internationale. Cette suite de danses s'intitule Les Yeux et l'âme, variante des paroles prononcées par la statue à Pygmalion quand elle renaît : "Je vois dans vos yeux ce que je ressens dans mon âme". Ce titre reflète les dimensions physiques et spirituelles de la chorégraphie de Trisha Brown. La pièce débute sur deux femmes, harnachées, qui volent au dessus du plateau, illustration du rêve d'apesanteur qui sous-tend les créations de Brown. Musicale.

Etonnante collaboration avec l'artiste japonaise Fujiko Nakaya qui travaille le brouillard, cette pièce mystérieuse est conçue pour quatre danseurs plongés sous un jet de brouillard. Opal Loop/Cloud installation marque un changement important dans la conception de la chorégraphie. Le mouvement reflète l'équilibre délicat de l'air qui entoure les danseurs, dérivant et changeant constamment de forme. Mais surtout, la chorégraphe avait décidé de laisser une plus grande liberté de mouvement à ses interprètes habitués jusque là à reproduire sa propre gestuelle ou à exécuter des consignes précises. Il en résulte un travail tout en décalages donnant à l'ensemble un caractère dispersé et légèrement flottant d'où se dégage la personnalité des danseurs. Déroutant autant que captivant. 


Collaborant pour la scénographie et le concept sonore avec Burt Barr, la dernière pièce de cette soirée, création mondiale intitulée I'm going to toss my arms - if you catch them they're tours, oppose une installation de ventilateurs, illustration de notre ère industrielle, à l'humanité des huit danseurs. Débutant au son émis par les seules machines avant d'être rejoint par la musique d'Alvin Curran qui adoucit cette atmosphère, la pièce développe une langue dansée d'une richesse inouïe. Les danseurs manipulent une personne passive pour lui donner la forme d'un "noeud" et déplacent cette masse sculpturale ailleurs. Mais toujours le mouvement y est comme suspendu dans l'espace, toujours fugitif et volé aux regards, toujours exécuté par des corps étrangement élastiques, où les muscles se bandent comme par enchantement avant de se relâcher avec une indicible souplesse. Ils entretiennent avec le sol une relation familière et distanciée, quasiment désinvolte, qui demeure la griffe reconnaissable entre toutes de Trisha Brown. Etonnant de modernité.

Fête permanente de l'instant et de la durée, jeu infini des corps libres, collision musicale de la forme et de l'abstraction, la danse de Trisha Brown est l'une des plus réjouissantes manifestations de vie, d'intelligence et de malice. Qui nous est donnée de voir à Chaillot. Des personnalités de la danse comme Wilfrid Piollet, Jean Guizérix ou encore le danseur Cédric Andrieux (ballet de l'opéra de Lyon), ont acclamé les danseurs de la compagnie américaine.


Théâtre national de Chaillot
Représentation du jeudi 6 octobre 2011.

Watermotor (1978)
Les Yeux et l'âme (2011 - Première européenne)
Opal Loop/Cloud installation = 72503 (1980)
I'm going to toss my arms - if you catch them they're yours (Création mondiale au théâtre national de Chaillot)

viernes, 26 de agosto de 2011

Festival de Peralada

Pour fêter dignement les 25 ans de son existence, le festival de Peralada affichait, en ce soir du 13 août 2011, des étoiles espagnoles à la renommée internationale : Alicia Amatriain, Lucia Lacarra et Angel Corella, tous trois accompagnés du Corella Ballet - Castilla y Leon

Cette soirée, volontairement éclectique et de grande qualité, a été dédiée à la mémoire du chorégraphe français Roland Petit, décédé le 10 juillet dernier. 


Alicia Amatriain / Jason Reilly - Photo : Josep Aznar
Les trois étoiles ont interprétées chacune un pas de deux, qui ont été, incontestablement, le must de cette soirée.  Alicia Amatriain accompagnée de Jason Reilly, tous deux "principaux" au ballet de Stuttgart ont interprété Mono Lisa. Sur des effets sonores ordonnés par Thomas Höfs et Itzik Galili, le chorégraphe israélien part du langage académique pour lancer sur scène le corps des deux danseurs avec une énergie époustouflante, différente, qui lui est propre et à partir de laquelle son imagination invente les éléments d'une chorégraphie où les idées fusent à une vitesse hallucinante. Rien n'est commun, ordinaire, attendu. Les bras, les jambes, les corps se ploient, se déploient, se tordent, se tendent en une sorte de mouvement perpétuel dont les péripéties et la prise de risques surprennent, étonnent, séduisent, retiennent sans arrêt l'attention, bousculent la sensibilité. L'utilisation des corps athlétiques d'Alicia et de Jason flirte avec les limites des possibilités humaines. Mais tout cela est naturellement transcendé en un langage totalement artistique et un partenariat exemplaire : les deux interprètes sont superbes, à tous égards.  

Lucia Lacarra / Marlon Dino - Photo : Josep Aznar

Lucia Lacarra, lumineuse, habite sans aucun doute la méditation de Thaïs comme personne. D'aspect presque abstrait, transparent, avec son corps longiligne, ses mouvements fins et raffinés, une technique magnifique, Lucia est une rose pleine d'épines et de senteurs enivrantes, mise en valeur par son partenaire, Marlon Dino. Un pas de deux d'un romantisme et d'une beauté à couper le souffle. Pouvait-on espérer plus beau témoignage à la théâtralité et à la sensualité propres à l'univers de Roland Petit ? 

Petit joyau chorégraphique, Soléa est interprété par Angel Corella et sa soeur, Carmen. Sur la musique flamenca de Ruben Lebaniegos, Maria Pagès, explore au travers d'un phrasé chorégraphique emprunt d'élégance et de pureté, les figures de style de la danse classique et du flamenco. Jeux de poignets, cambrés, pointes frappées en écho au "zapateado", "palmas"… répondent à la virtuosité d'Angel Corella qui se joue de ces métaphores pour le plus grand plaisir des spectateurs. 

A l'issue de ce pas de deux, Madame Mateu a remis, sous les applaudissements châleureux du public, la médaille d'honneur du Festival de Peralada à l'étoile de l'American Ballet Theatre, fondateur et directeur du Corella Ballet - Castilla y Leon.  L'occasion m'a en effet été offerte de découvrir cette jeune compagnie au répertoire déjà vaste et varié, mais essentiellement classique. 

Madame Mateu / Angel Corella
Photo : Josep Aznar

Pour compléter cette série de pas de deux, Natalia Tapia et Dayron Vera, principaux du Corella Ballet se lançaient dans l'exercice de style imposé par le "Grand pas classique" de Gorski sur la musique d'Auber. Si les deux interprètes n'ont pas techniquement démérité, l'élégance et la pureté du style académique français faisaient défaut à cette variation.  

Cette succession de pas de deux était accompagnée de deux oeuvres de style opposé et inscrites au répertoire de la compagnie : Bruch violon concerto num. 1 et DGV, danse à grande vitesse. 
Carmen Corella / Angel Corella  
Photo : Josep Aznar
Clark Tippet a créé ce divertissement néo-classique et coloré pour l'American Ballet Theatre en 1987. Les quatre couples principaux, entourés de seize danseurs, enchaînent des variations certes empruntées au langage classique mais pourtant surprenantes. Les hommes, dédiés aux portés, mettent en valeur la ballerine de façon peu "conventionnelle". Chaque phrase étudie les possibilités que peuvent offrir les pas de deux, tout en rendant une musicalité du geste en parfaite harmonie avec la musique de Bruch. Un régal.  
Avec DGV, créé en 2006 pour le Royal Ballet, l'œuvre de Christopher Wheeldon présente une chorégraphie à la construction très architecturale. Sur la musique répétitive et obsessionnelle de Michael Nyman intitulée MGV (Musique à Grande Vitesse), les danseurs évoluent dans le décor industrialiste conçu par Jean Marc Puissant. Une bordure de métal aux pièces mal ajustées en fond de scène est l'occasion pour les quatre principaux couples d'esquisser respectivement un phrasé minimaliste et esthétisant, qui sera démultiplié par le corps de ballet avec beaucoup de retenue. 

Un bouquet final qui laisse présager un bel avenir artistique à cette jeune compagnie espagnole. Le corps de ballet, enthousiaste, s'est pleinement investi et le plaisir de danser était palpable. Mention spéciale à Aaron Robinson, soliste de la compagnie, transfuge du Ballet Royal de Birmingham, qui se détache par sa plastique parfaite, une technique irréprochable et un ballon généreux.  En ce soir d'août 2011, le public essentiellement catalan, a copieusement remercié les interprètes en leur offrant de nombreux applaudissements et bravo.


Programme :
  • Bruch violin concerto num. 1, Clark Tippet (chorégraphe) ;
  • Grand pas classique, Gorski (chorégraphe) ;
  • Mona Lisa, Itzik Galili (chorégraphe) ;
  • Thais, Roland Petit (chorégraphe) ;
  • Soléa, Maria Pagès (chorégraphe) ;
  • DGV : Danse à grande vitesse, Christopher Wheeldon (chorégraphe).

sábado, 16 de julio de 2011

L’unique « Baptiste » de José Martinez en cadeau d’adieu au public du palais Garnier


Loïc le Duc

José Martinez - Baptiste
Photo : Julien Benhamou
Les ors de Garnier, en ce soir de 15 juillet, affichait « Les Enfants du paradis » du danseur-étoile et chorégraphe José Martinez. Joué à guichet fermé, le public est venu saluer, pour son ultime performance, celui qui a représenté le style académique de la danse française sur de nombreuses scènes internationales. Et pour cet au revoir, José Martinez interprétait, pour la première fois, le rôle de « Baptiste » au côté de sa fidèle partenaire de scène, Agnès Letestu. Inoubliable soirée d’adieux, comme sait les organiser l’opéra de Paris et qui s’est clôturée par vingt minutes d’ovation d’un public conquis.

Cinquante ans après sa sortie, Les Enfants du paradis fut sacré « meilleur film de tous les temps » par la critique française. C’est peu dire de son aura devenue légendaire et de sa capacité à cristalliser, dans l’imaginaire collectif, des images fortes. 

Les dialogues ciselés de Jacques Prévert, l’extraordinaire jeu d’Arletty et de Jean-Louis Barrault et la beauté formelle des images en noir et blanc tournées par Marcel Carné permettent de comprendre la fascination que le film exerce sur les générations successives. Mais le thème choisi y contribue tout autant. Il nous renvoie au vieux Paris, au Paris romantique d’avant la modernisation haussmannienne, à l’époque où la ville, encore si proche de la campagne, résonnait de l’aube jusqu’au soir des mille cris des petits métiers de la rue, à l’époque aussi où les théâtres étaient plus que jamais au centre de l’activité sociale, offrant aux aristocrates, aux nouveaux bourgeois comme aux plus humbles des lieux où rêver et manifester leurs opinions. Le climat du boulevard du Temple, lieu névralgique du théâtre populaire, est restitué dans le film de Carné par une vaste fresque, un véritable hommage à la vitalité des arts du spectacle d’alors. En s’emparant du scénario de Jacques Prévert, le danseur étoile José Martinez n’adapte pas seulement une grande histoire d’amour aux émotions de la danse, il réunit sur la scène de l’opéra toutes les traditions du spectacle. Sans vouloir reproduire le film de Carné, Martinez s’est inspiré de la dimension éminemment chorégraphique de l’œuvre pour nourrir sa propre écriture.


Agnès Letestu - Garance
L’ultime prestation de José Martinez en qualité de danseur-étoile avait donc lieu vendredi 15 juillet, dans la joie. Une joie toute simple que le public était invité à partager dès son entrée dans le hall doré du palais Garnier où des saltimbanques l'accueillaient à grand renfort de battements de tambour et aux cris « Dernière représentation de José Martinez ». 

Et très vite, on entre dans le vif du sujet : la foule, les tréteaux, les badauds… Mime au théâtre des Funambules, Baptiste s’éprend de la belle Garance, déjà courtisée par le bandit Lacenaire. Mais un brillant et ambitieux nouveau, Frédérick Lemaître, succombe lui aussi aux charmes de la belle. C’est sans compter la jalousie de la douce Nathalie, qui aime Baptiste sans en être aimée…

José Martinez
Photo : Julien Benhamou
En arrière-plan, la perspective des maisons et des théâtres du boulevard file en noir et blanc sur un ciel bleu. Seul le monde du théâtre est coloré. Pour cette pièce, Martinez tire avec beaucoup d'astuce toutes les ficelles du théâtre dans le théâtre. Les châssis du décor d'Ezio Toffoluti encombrent la scène. Les danseurs mêlés aux techniciens les poussent, les tournent et les roulent. L'un d'eux présente côté face la porte de la pension de Madame Hermine et côté pile, une de ses chambres. Le décor du Théâtre des Funambules descend des cintres, plus étroit que la scène de Garnier pour qu'on découvre en direct le charme piquant de la vie des coulisses : relation de l'artiste à son miroir, pianiste surveillant la scène en coin, étreintes indolentes en attendant l'entrée en scène, et le joli jeu des trucages comme le drap bleu qu'on agite de part et d'autre d'une barque pour imiter le cours d'eau qu'elle descend. 

Mais ce qui touche particulièrement, lors de ces deux heures de spectacle, c'est le sentiment du bonheur partagé de la troupe. Les danseurs de l'Opéra ne ménagent pas leur peine : ils sont nombreux, vêtus de costumes signés Agnès Letestu, à jongler, rouler du tambour, parler, crier, jouer les bateleurs, passer de la scène à la salle, transformer les escaliers de Garnier en boulevard du Crime, à l'heure où la foule du public les prend d'assaut, ou bien en théâtre des Funambules pendant l'entracte. 

La distribution à l’affiche ce 15 juillet a grandement contribué à la réussite du spectacle : Vincent Chaillet, félin et virtuose, en Lacenaire, a la main baladeuse des pickpockets. Florian Magnenet campe un Fréderick Lemaître, devenu danseur virtuose plutôt que dieu du théâtre, de bonne facture ; Caroline Robert est une merveilleuse Madame Hermine, Clairemarie Osta une passionnante Nathalie. Agnès Letestu joue Garance : précieuse, sensuelle, fatale mais surtout indépendante. José Martinez, pour son ultime apparition en tant que danseur-étoile de la compagnie interprétait, pour la première fois, Baptiste : lunaire, passionné et amoureux, il restitue la magie des scènes de mime du film de Carné et Prévert. Et là, on est touché au cœur. 

José Martinez

De manière générale, la chorégraphie a été vraiment pensée en fonction des interprètes et des personnages qu'ils sont supposés incarner. Mais il n’y a pas à proprement parler de phrasé chorégraphique propre à Martinez puisque le danseur-étoile a puisé dans les écritures disponibles du répertoire de la compagnie parisienne : les scènes de foule font appel à la gestuelle de Mats Ek, la scène du bal à Neumeier et sa Dame aux camélias… Là-dessus, la musique de Marc-Olivier Dupin, joueuse et franche, trouve sa place avec délicatesse, sans jamais forcer ou écraser la tendre poésie de l'œuvre.

Mais en ce soir de 15 juillet 2011, la fête n’en finit pas sur le boulevard du Temple : les confettis et serpentins fusent en tout sens pour célébrer le départ de José Martinez : des bouquets pleuvent, les applaudissements et les bravi aussi ; les admirateurs, les amis, les collègues ne veulent décidément pas que le rideau se baisse sur la scène de Garnier. De l’orchestre au « poulailler », Garnier acclame, debout, l’étoile. Toutes les étoiles « du moment » et le corps de ballet sont venus rejoindre, sur scène, celui qui a incarné, de nombreuses années, noblement et admirablement, la danse française. Devant cet enthousiasme, José Martinez traverse la fosse d’orchestre, sur les épaules de Yann Saïz, pour un bain de foule… il est accueilli par un public chaleureux et une myriade d’étoiles : Ghislaine Thesmar, Pierre Lacotte, Elisabeth Platel, Elisabeth Maurin, Delphine Moussin, Claude de Vulpian…. Nombreux sont celles et ceux qui, furtivement, essuyaient quelques larmes... 

Agnès Letestu - José Martinez
Photo : Julien Benhamou

José Martinez nous promet de revenir la saison prochaine interpréter « Appartement » de Mats Ek … nombreux sont ceux qui, d’ores et déjà, attendent la diffusion des distributions pour répondre présent au prochain rendez-vous avec l’étoile originaire de Malaga.


Distributions :
Garance : Agnès Letestu
Baptiste : José Martinez
Frédérick Lemaître : Florian Magnenet
Lacenaire : Vincent Chaillet
Nathalie : Clairemarie Osta
Madame Hermine : Caroline Robert
Le Comte : Yann Saïz

jueves, 30 de junio de 2011

« … Como el musguito en la piedra, ay si, si, si… »

Loïc le Duc

Foto : Rolf Ebertowski

Longtemps dédaigneusement indifférente à l’œuvre qui se tramait en ses murs, Wuppertal est aujourd’hui, de notoriété publique, identifiée à une sorte de monastère profane où, volontairement isolé, fait retraite le tanztheater.

Pourtant, depuis plusieurs décennies, cette compagnie se faisait nomade sans toutefois jamais couper tout à fait le cordon ombilical qui l’amarre au berceau géographiquement désolé de la Rühr. Ainsi, Viktor est né à Rome et Palermo, Palermo en Sicile. Puis ce fut le tour de Madrid (Tanzabend II), Los Angeles (Nur Du), Hong Kong (Der Fensterputzer), Lisbonne (Masurca Fogo), Istambul (Nefes), du japon (Ten chi)… Et au printemps 2009, quelques semaines seulement avant sa disparition, Pina Bausch et ses danseurs nous rapportaient du Chili « … Como el musguito en la piedra, ay si, si, si… »

Pendant ces résidences plus ou moins longues, les danseurs s’imprégnaient des images, des sons, des fantasmes propres à chacune d’elles. La troupe bâtissait ainsi un patrimoine commun de réactions et d’interactions avec différents tissus urbains. A partir de cette étoffe, Pina Bausch tissait son œuvre. Elle recueillait les moindres palpitations et les métamorphoses dans une sorte de collage original, dont les danseurs reprenaient le sens.

Foto : Ursula Kaufmann
Pour cette ultime pièce de la chorégraphe allemande, Peter Pabst, le complice de longue date, propose une scène vide, terre blanche asséchée par les vents et les érosions. Des craquelures se creusent et se referment tout au long du spectacle. Les saynètes se succèdent. Les femmes déambulent, vêtues de longues robes de soirée colorées qu’elles n’hésitent pas à utiliser en panier pour attraper des pommes de terre lancées à la volée. Celle-là danse au milieu d’un cerceau que son partenaire tient à sa bouche ; une autre transporte un arbre dans son sac à dos …On retrouve également, dans « … Como el musguito en la piedra, ay si, si, si… », ces images qui collent à la peau de la compagnie : de l’eau plein la bouche, des cigarettes allumées… jusqu’à ce garçon, en veste de smoking, perché sur de hauts talons rouges, parodie du travestissement bauschien. Mais surtout, la danse est encore plus présente, plus physique, plus dynamique. Bien sûr, nous ne voyons pas de belles danses au sens du ballet traditionnel. Pina Bausch métamorphosait ballet classique, danse expressionniste, rondes ethniques et cultuelles en un nouveau style. Danse des bras. Danse du tronc qui se brise à la taille. Ici peu importe les enchainements, figures ou pas. Le corps se met à rayonner dans un jeu de doigts, un tournoiement de bras, un haussement d’épaules, un mouvement de tête. D’autant que la bande son de la première partie est enchanteresse. 


Foto : Jochen Vieho

Toutefois, « … Como el musguito en la piedra, ay si, si, si… » n’offre pas le plaisir que le spectateur assidu du Tanztheater attend, celui de rencontrer ces danseurs/personnages devenus familiers, de les voir travailler sur scène. Car la compagnie a été largement renouvelée. Et avec ces jeunes interprètes est modifiée la perception du corps bauschien, qui parait plus endurant, plus performant… comme si Pina avait voulu nous parler de l’éternel retour de la jeunesse. Preuve que la vie continue. Que la danse continue. Avec le Tanztheater de Wuppertal. Et nous en sommes heureux.


TANZTHEATER WUPPERTAL
Théâtre de la ville, Paris – du 22 juin au 8 juillet 2011.

sábado, 2 de abril de 2011

GISELLE, de Mats EK, Ballet de l’opéra de Lyon

Loïc le Duc

Version espanola

© Jean-Pierre Maurin


C’est dans le superbe écrin de l’opéra royal de Versailles que nous retrouvions le ballet de l’opéra de Lyon… dans ce lieu historique, inauguré le 16 mai 1770, jour du mariage du Dauphin avec l’archiduchesse Marie-Antoinette, avec une représentation de Persée de Quinault et Lully

Entre les velours bleus et les marbres qui ornent ce joyau architectural, le ballet de l’opéra de Lyon présentait une des rares relectures de Giselle et sans conteste, l’une des plus pertinentes, chorégraphiée en 1982 par Mats Ek et entrée dans le répertoire de la compagnie en 2009. 

© Jean-Pierre Maurin
Les danseurs du ballet de l’opéra de Lyon incarnent au plus juste, au plus vrai, le langage ékien qui exige d’eux un corps solide, blindé et résistant, qui doit veiller à ne pas se disloquer tout en jouant avec ses limites. Qu’elles soient physiques, techniques ou psychologiques, il s’agit de les étirer au maximum. Certes, le vocabulaire est classique, mais il subit des torsions, des cassures telles qu’il met les danseurs au défi d’enchaîner les pas avec fluidité. Immenses pliés à la seconde, les sauts sont hauts, les développés extrêmes, les bras rayonnent dans l’espace, l’ensemble étant combiné avec un usage fréquent des tours attitudes qui fusent dans le tourbillon de l’action. La ligne est souple, le mouvement continu et les bustes des danseurs, très courbes, doivent être capables de toutes les ondulations. La souplesse est rompue par des attitudes angulaires qui surviennent au paroxysme des tensions. La densité du mouvement n’a d’égale que l’intensité des situations et des sentiments.

Mais chaque mouvement part d’un sentiment personnel profond de l’interprète, à l’image de Giselle qui, submergée du bonheur de sa rencontre, « fait l’avion » dans une mémorable course circulaire. Car pour le chorégraphe suédois, le livret de Giselle est une mine inépuisable de « troubles », de tensions qu’il va se faire fort d’évacuer, sans ménagement, sur le plateau. 

Gardant le livret d’origine (écrit par Théophile Gautier) et la musique d’Adolphe Adam, Mats EK accentue le tragique de la situation, faisant de Giselle (émouvante Caelyn Knight !) la demeurée du village, confrontée à une communauté rurale brute et oppressante. Giselle s’enflamme pour Albrecht (Denis Terrasse, superbe en jeune nobliau superficiel), mais sa tromperie ne la tue pas, elle devient seulement folle. Le second acte se déroule donc au sein d’un asile psychiatrique. Myrtha, la terrible reine des Willis est cette fois une infirmière qui préserve la pauvre Giselle des séductions de la sexualité adulte. Hilarion (Yang Jiang, précis et juste), l’ami d’enfance, n’abandonnant pas Giselle, essaiera de la ramener à la réalité. En vain ! La Giselle de Mats Ek, comme l’héroïne du ballet classique, aime toujours Albrecht. Elle lui pardonne et le sauve en lui faisant découvrir la richesse des sentiments. A la fin du ballet, après la nuit folle et sauvage à l’asile, Albrecht, nu, replié sur lui-même, se voit habillé d’une couverture par Hilarion, dans un ultime geste de réconciliation. Albrecht aurait-t-il enfin trouvé sa raison de vivre ? 

© Jean-Pierre Maurin

De par son interprétation et son investissement, le ballet de l’opéra de Lyon s’est taillé un franc succès et les spectateurs, venus nombreux, n’ont pas hésité à féliciter les interprètes en les acclamant longuement et châleureusement. A juste titre. Incontestalement.


Opéra Royal de Versailles
Représentation du jeudi 31 mars 2011